La perspective d’une éducation au Sujet consiste à aider un petit d’homme à grandir à son humanité.
Je développerai ainsi quelques ateliers dont la thématique s’offre comme point de départ…
L’humanité : on naît humain, il reste à le devenir
« /…/ l’humanité n’est pas un état à subir. C’est une dignité à conquérir. Dignité douloureuse. On la conquiert sans doute au prix des larmes ».
Vercors (1952, p. 212) cherche à fonder la différence entre l’homme et l’animal. « Des animaux dénaturés, voilà ce que nous sommes » laisse-t-il dire à l’un de ses personnages (op. cit., p.196). C’est que l’animal, pour lui, « ignore sa propre ignorance ». Tandis que l’homme « se voit seul, abandonné, mortel, ignorant tout -unique animal sur terre « qui ne sait qu’une chose, c’est qu’il ne sait rien »- pas même ce qu’il est. Comment n’inventerait-il pas aussitôt des mythes : des dieux ou des esprits en réponse à cette ignorance, des fétiches et des gris-gris en réponse à cette impuissance ? N’est-ce pas l’absence même, chez l’animal, de ces inventions aberrantes qui nous prouve l’absence aussi de ces interrogations terrifiées ? » (ibid., idem).
La conscience interrogative, inquiète, douloureuse, sur son rapport au monde et à l’autre, nous mène sur le chemin du devenir homme. Sans doute, tel que décrit par le romancier, retrace-t-elle l’évolution des réponses de l’espèce. Quoi qu’il en soit, c’est l’ignorance qui le terrifie, cet homme. Il a peur. Il se sent seul, abandonné, mortel. Impuissant au bord du gouffre de son ignorance, face à l’inconnu. Il a peur. Arrêt sur image : la peur n’est-elle pas arrêt sur l’image de soi -l’image de Moi le même, non touché par l’autre, insensible à l’autre- comme sur l’image que l’on construit de l’autre, son apparence ? Alors l’éducation a un rôle à jouer : elle peut aider à discerner les forces de vie, celles qui dépassent l’image, qui, en deçà, en appellent à l’authenticité…
Posons, ainsi, d’emblée qu’être un homme, c’est être divisé entre la conscience de soi, le Moi, et ce qui échappe, qu’on ne connaît pas, qu’on ne possède pas, qu’on ne maîtrise pas, ni en soi ni en l’autre. Du coup, être un homme cela peut faire peur, entre ce que l’on sait et ce que l’on ignore. Il peut cet homme, de peur, chercher à combler le manque, à remplir l’ignorance.
Cela atteste du fondement de l’homme : la fonction symbolique, la recherche de sens que la puissance de son imaginaire lui permet de développer. La fonction symbolique dont Françoise Dolto a su déceler la présence chez les nourrissons, avant même, dès in utero,
Le sens advient à ce petit d’homme par la rencontre d’un autre qui parle, qui le cherche là où il est, dans ce que l’adulte interprète de là où cet enfant est, dans ce que cet adulte croit savoir sur cet enfant, à condition de faire avec ce qu’il ne sait pas de cet enfant (sa différence). Le sens advient au petit d’homme dans les conditions d’une rencontre dans la séparation, du respect de la différence qui fait chaque petit, homme en devenir, homme davantage et toujours plus homme. C’est là, la définition d’une éducation guidée par le respect de l’autre en tant qu’Autre. C’est la seule vérité qui la guide, sinon c’est le mensonge, d’emblée.
L’humanité est donnée ou pas, elle s’éduque ou se pervertit.
Joseph Macé-Scaron découvre qu’au chapitre 14 du livre I, Montaigne retraçant la persécution des juifs au Portugal et en Espagne « invente pour exprimer toute sa colère et sa stupeur le mot « d’inhumanité » (2002, p. 77). Le racisme, la haine, les camps d’extermination, Jean Pierre Winter interroge F. Dolto : « Alors je me demande si, pour toi aussi, la dernière guerre, l’agressivité, le déchaînement de la haine, le déchaînement des pulsions agressives a été une source d’interrogations /…/ » (et de réflexions sur la psychose infantile) dit-il précisément (2001, p. 116).
Parce que la barbarie, la haine ressentie ou vécue, lui dit en substance JP. Winter, tu n’en parles pas beaucoup, mais tu parles beaucoup d’amour ! « Pour moi, je dois dire que les gens qui font du mal à ceux qu’ils aiment ou à ceux avec lesquels ils vivent, et qui sont donc leurs semblables ou qui devraient l’être, ce sont des gens qui n’ont pas compris qu’ils étaient des humains, ils se comportent comme des singes de tribu qui ne veulent pas de la tribu voisine. Ils ne sont pas des humains, parce qu’ils ont peur de parler, ils ont peur des autres humains » va-t-elle conclure (ibid., p. 134).
La peur, ça s’attrape dans l’éducation. Il n’y a, semble dire F. Dolto, rien à rajouter aux analyses d’Alice Miller et pour le dire dans les termes de JP. Winter : « /…/ le nazisme c’est le surgissement de la vie chez des êtres qu’on avait tenté d’écraser dans leur âme, dans leur être, qu’on avait tenté de tuer comme sujets » (ibid., p. 129). Elle rajoute juste ( !) qu’il y a du nazisme, comme du racisme, en chacun de nous « /…/ parce que nous n’avons pas fait assez de travail de communication entre humains » (ibid., p. 132). Faute de se sentir compris, certains vont développer de la haine ; faute d’avoir pris du recul avec leur histoire, ils vont la reproduire.
L’égalité : la promotion de la différence de chacun
Freud introduit quand il s’interroge sur le Malaise dans la culture (1930 (1994) ce jeu qui va faire civilisation entre principe de plaisir (la satisfaction d’une motion pulsionnelle non domptée par le moi) et principe de réalité (le déplacement de la libido, la sublimation des pulsions). Le travail psychique intellectuel en est le modèle pour Freud. F. Dolto, quelques années plus tard, franchira un écart qui n’est pas des moindres. Du lieu de l’école notamment, cet écart refuse l’élitisme d’une école qui réduit la fonction symbolique à la capacité d’abstraction, la recherche de sens aux concepts savants, laissant sur le bas-côté dans un même mouvement la multiphonie sensorielle qu’emprunte l’homme pour se construire -la multiplicité de l’humain, l’hétérogénéité en soi- et les enfants jugés indignes de cet itinéraire d’abstraction. La symbolisation, c’est la distance critique, le souci constant d’interroger, qu’on entraîne les petits sujets en formation à prendre en soi et entre soi dans leur relation aux autres, pour dans le même mouvement, advenir au respect de soi en tant qu’Autre et au respect de l’autre en tant qu’Autre.
« Notre école est faite pour l’enseignant » dit très justement Jacques Pain (2001, p. 75), manière de dire qu’elle se réduit à l’instruction.
C’est ainsi que pour F. Dolto les sublimations, c’est « L’intelligence du muscle, l’intelligence du regard, l’intelligence de l’audition, l’intelligence de l’olfaction, l’intelligence du goût. L’intelligence, tout ça ce sont des sublimations si cela procure un grand plaisir à celui qui en est l’auteur et le bénéficiaire et que c’est utile à la société » (1990-1, p. 18). C’est à l’exercice de toute sa sensibilité tactile, visuelle, auditive, gustative, olfactive, que dans cette éducation, l’enfant est entraîné à chercher son unité -son désir disons le ainsi- à partir de la prééminence de lieux propres à sa sensibilité à lui (sa différence singulière), c’est à la recherche de son allant-devenant à lui qu’il va s’exercer… dès lors qu’il a un sens social. C’est ainsi que, dans cette éducation, le manuel est autant valorisé que l’intellectuel. Il s’agit, comme le dit Fabienne d’Ortoli à propos de l’école de La Neuville qu’elle a co-fondée, de concevoir une école « Où chaque enfant serait reconnu à sa valeur, serait mis à sa valeur » (1990, p. 148). Cette éducation considère l’enfant comme un être vivant, affectif, intellectuel, corporéisé (F. Dolto, 1986, p. 66). Le Sujet que cette éducation privilégie ne réside plus dans le clivage corps/pensée, affect/pensée. Sujet de la fonction symbolique, il est éminemment spirituel . Au plus loin d’un matérialisme, qui l’identifie à ses conditions de vie, à ses appartenances sociales et familiales, comme d’un déterminisme qui l’identifie à ses actes ou ses comportements. Quelles que soient ses conditions de vie ou les actes commis, cette éducation a foi dans ses potentialités propres, ses possibilités encore inexplorées ou insuffisamment explorées lors d’initiatives refusées par l’autre. Son énergie bloquée, ses symptômes, peuvent être débloqués : le Sujet est toujours là qui demande à être reconnu.
Une véritable égalité ne se soutient que de la mise en valeur de la différence de chacun.
Le Sujet ne se réduit pas à son apparence -image et non Sujet-. Il n’est ni sujet passif, résultat des conditions concrètes de son existence, ni sujet passif, sujet-réponse. Il est acteur de transformation (de lui, du monde) dès lors qu’on le convoque comme Sujet.
Une éducation à la citoyenneté active
« /…/ la notion de sujet remplace l’idée de citoyenneté propre à notre passé récent /…/ comme ce qui donne sens à la vie » propose Alain Touraine (2000, p. 35).
Place à la Loi, aux inter-dits. Au Vivre-Ensemble.
Dans cette éducation, le sujet individuel et collectif se construit dans l’inter-dit de se moquer. On ne se moque pas, c’est comme une règle de base. C’est la version éducative de l’interdit de tuer. Il est inter-dit de nuire à l’autre. Aujourd’hui, les éducatifs n’en sont pas assez conscients, à notre sens.
Cette règle de base garantit le droit de se faire respecter (dans sa différence) et le devoir de respecter l’autre (dans sa différence). Chacun a sa place.
C’est dire que dans cette éducation, on fait grandir, dans le même mouvement, l’enfant à ses connaissances mais aussi à ses comportements, à ses attitudes. L’apprentissage (scolaire) va de pair avec la civilisation de sa relation à l’autre.
C’est faire référence à la Loi… la Loi qui permet le respect de soi et de l’autre.
« /…/ la loi sert à séparer, à différencier, à mettre chacun à sa place pour qu’il puisse vivre son désir sans étouffer le désir de l’autre » (F. Dolto, 1977-2, p.90). La loi interdit et stimule, dans le même mouvement, pour D. Vasse. Ils font référence, l’un et l’autre, bien sûr, à la Loi (symbolique), l’interdit de l’inceste, à entendre au sens strict et en son sens général, l’interdit de fusion. Par elle, l’enfant est « limité dans sa consommation du monde par le désir d’un autre », délogé de la place, de toute la place qu’il veut prendre. Du coup, « il n’a qu’une issue possible : devenir à son tour être de désir dans l’épreuve de sa limite. La connaissance de soi ouvre à la connaissance d’autrui. Il n’est qu’un être parmi d’autres, même et autre » (D. Vasse, 1969, p. 76).
Mais dans cette éducation et parce que c’est la seule manière de l’intégrer, l’enfant doit comprendre que l’interdit est le même pour les adultes qui l’entourent. La Loi, c’est la loi. Tout le monde y est soumis. Les adultes ne passent pas devant les enfants à la cantine : ils font la queue avec eux. Pas d’arbitraire. Ils disent, tentent de dire ce qu’ils font, et font, tentent de faire, ce qu’ils disent. La loi, c’est la loi, celle du vivant exemple du respect de chacun et de tous. Chacun, a sa place, un parmi d’autres : cela se met en place, cette perspective nous l’apprend, à condition que la différence ne soit pas moquée. On ne se moque pas, c’est, à la fois, le respect, la tolérance, et la nécessité d’être à l’écoute des autres. Cette règle protège l’intégrité de chacun et promeut la différence à égalité de valeur humaine. Elle co-joint l’interdit de l’inceste et l’interdit de nuire, les deux lois fondamentales auxquelles nous sommes tous soumis pour vivre en homme.
On ne se moque pas, cette règle de base fédère tous les règlements que dans cette éducation on invente, ensemble, adultes et enfants. Car, dans cette perspective, 1) les règlements ne sont pas déjà faits -instruction morale !-, 2) ils sont co-construits, ensemble, au fur et à mesure des incidents, dans la soumission à cette éthique du respect de sa différence et de celle des autres. Citoyenneté active où on met enfants et jeunes en situation de s’écouter, de se confronter et de prendre distance par rapport aux conflits -l’ordre du Un, du Moi que je veux voir l’autre rejoindre, ordre du même qui élimine l’Autre-. Citoyenneté active, formation du Sujet collectif, dans la co-création des décisions qui font vivre le milieu. Rien ne se décide sans les enfants, sans en discuter avec eux, dans ces lieux de vie. On ne fait pas semblant quand on demande leur avis aux enfants. On en tient compte dans les décisions. Alors, vivre dans un milieu où on a un avis qu’on sent entendu apprend à Vivre-Ensemble. A vivre en humain. Ne pas vivre ensemble, c’est ne pas vivre, pour D. Vasse (1999, p. 301). Sujet individuel et sujet collectif adviennent dans le même mouvement.
Le rapport au savoir
Quand il réfléchit à la fonction de l’enseignement institué, Octave Mannoni, philosophe et psychanalyste, en passe par le témoignage de Descartes. Celui-ci raconte avoir appris, à l’école, tout ce que ses maîtres pouvaient lui enseigner : tout ce qu’ils savaient eux-mêmes ! « Le mythe ancien et qui n’a pas disparu, qui faisait du maître le dépositaire du savoir et de l’élève le récipient vide où le savoir devait être déversé /…/ » fonde l’enseignement institué pour O. Mannoni (1980, p.68-69). Il met en place une clôture qui garantit à l’enseignant ce rôle de maître du savoir. Dans le fond, pour lui, c’est même la fonction de l’enseignement. Mais alors, nous propose-t-il, il s’appuie sur la mystification et n’a d’ambition que la recherche de la soumission des élèves à l’autorité des adultes.
Dur constat, que l’expérience des centaines d’enfants en souffrance reçus par F. Dolto ne lui permet pas d’alléger. Sur la question scolaire, F. Dolto a écrit ses textes les plus militants, les plus virulents, constate Yannick François (1999, p. 157). Elle rêvait, clinique à l’appui d’une « école sur-mesure » (1985, p. 316) à l’opposé d’une « école digestive » (ibid., p. 259), celle que F. Oury et J. Pain qualifient « d’école caserne » (1972), celle où s’exerce « une instruction pervertissante, de celle qui consiste à faire régurgiter à l’élève le savoir du prof » (F. Dolto, 1985, p. 264) où imitation et grégarisme sont les maîtres mots. « Pourquoi les enfants font-ils tous le même devoir, ont-ils tous les mêmes livres de classe ? /…/ Pourquoi faire tous pareil ? C’est plus commode pour le maître, mais on n’est pas là pour lui ; l’enfant est là pour lui-même » (ibid., p. 312).
Bertrand Schwartz, quand il s’est agi de réinsérer les exclus/démotivés de l’apprentissage scolaire (1981) a, lui aussi, montré les limites du raisonnement traditionnel de l’école -l’idée qu’il faut savoir pour faire ensuite-. Pour lui, c’est une fois l’expérience acquise -« /…/ faire avant de savoir et se risquer à agir pour n’apprendre qu’ensuite ; le savoir bien compris ne vient qu’après-coup, une fois l’expérience acquise» (1994, p. 118) que le savoir s’engramme, à la mesure de chaque un. Cette éducation à prendre en compte les exclus du système se décentre du savoir vers le rapport au savoir, du lieu du maître, de l’adulte en général, comme du lieu de l’élève ou de l’enfant.
C’est ainsi que cette éducation promeut une école active, une école où l’enfant est laissé à ses initiatives à partir de ces centres d’intérêt. Tous les Decroly, Montessori, Freinet ayant bâti leur vision de l’école à partir et avec des enfants en difficulté, en sont arrivés au même point : l’intérêt de l’enfant, comme on disait. Laissons-lui l’amener. Il questionne les connaissances depuis là où il en est de son apprentissage du vivre. Et plus l’expérience sera vraie, avec un sens social vrai, non pas occupationnel ou pédagogique, plus l’enfant apprendra à ressentir le goût du savoir : vrai, il est utile aux autres, il sert à la vie collective, vrai, il est générateur de plaisir échangé dans une production pour soi et avec les autres. On ne dispense pas un cours de technologie, on fait un atelier d’entretien/réparation des bâtiments. On monte une pièce de théâtre, on joue un extrait d’une œuvre littéraire, plutôt que de faire seulement un cours de littérature. Et on découvre que pour atteindre cet objectif, cela implique l’apprentissage des règles (de grammaire, de géométrie, d’arithmétique). Pour apprendre à lire et à écrire, Freinet nous a appris à partir des textes libres et de la correspondance. Il s’agit de donner un sens à l’apprentissage, à l’acte de sa transmission. En l’occurrence de guider le sens de l’écrit : on écrit à quelqu’un, alors on doit présenter son texte, sa lettre, correctement, corriger les erreurs d’orthographe. On écrit et on lit pour communiquer avec d’autres. C’est là que réside notre Sujet : le désir est l’appel à la communication interhumaine (F. Dolto, 1981, p. 272).
Une école active, c’est une école où les maîtres, très humbles, vont favoriser la recherche, les tâtonnements dans une dialectique de certitudes et d’incertitudes, dans l’échange.
« Ils n’en savent pas plus que les enfants devant ce que l’on fait : tout le monde se met du même côté par rapport à la réalité en jeu » (F. Dolto, 1986, p. 181).Ils sont là pour témoigner de la réponse qui est la leur, de la découverte d’une vérité qui leur est propre, d’un savoir relatif à eux, et pour permettre à l’enfant de continuer sa recherche.
« Tout savoir reflète la façon dont quelqu’un s’est défendu de ses angoisses et n’est pas une réponse utilisable pour un autre » (F. Dolto, 1989, p. 90). Les réponses que chacun cherche sur la vie et sur la mort, du début de sa vie jusqu’à son extinction (le savoir n’a d’autre fonction, n’est-ce pas… Est-ce que la vie est vraie ? C’est bien La question qui mobilise les recherches auxquelles le savoir de chacun va fournir des mobiles) ces réponses sont élaborées de la métabolisation des souffrances rencontrées. On peut juste en témoigner, comme de la découverte d’une vérité qui nous est propre… au plus loin de La science une et indivisible capturée dans la folie des hommes qui ont cru l’incarner. Le Vingtième siècle a payé cher cette posture. La science est au service de l’homme : le vingt et unième siècle ferait bien de s’en souvenir.
La subjectivation
Nous partons de ce point de départ. La parole est source de vie : parler, c’est vivre (Claude Halmos, 1997).
Ce qui parle en l’homme comme entre eux, écrit à un moment D. Vasse (1995, p. 107), c’est la parole, la différence, l’altérité. Il dit, aussi, tout simplement : « Ce qui parle en l’homme -le sujet- /…/ » (ibid., p. 164).
A poursuivre son interrogation, c’est dans La vie et les vivants (2001) que je l’entends poser une identité entre parole et vie, entre la parole qui s’entend et la vie qui se donne (op.cit., p. 141).
C’est sur ce processus-là, qui se donne d’emblée je viens de vous le dire, que je voudrais conclure maintenant.
« Ce qui veut dire qu’un sujet n’existe que lorsqu’il parle ou qu’il écoute? » demande Françoise Muckensturm à D. Vasse. Le sujet est là où «/…/ la parole s’articule dans le silence. Ecouter quelqu’un, c’est l’entendre sans le réduire à ce qu’il dit ou à ce que je comprends de lui » (ibid., p. 65). Absence à soi, présence à l’Autre. Parler, c’est établir un dialogue au cœur du miroir de notre imaginaire qui ramène tout à lui. C’est dialoguer avec ce que nous projetons sur lui, avec nos interprétations, car celui à qui l’on s’adresse, on l’a fabriqué avec ce que l’on suppose de lui, avec notre imaginaire (Mireille Cifali, 1994, p. 240-241). Cette distance à soi est la condition d’une écoute qui entend l’autre comme Autre. C’est tout un travail, point de départ d’une éducation, et de notre Faculté d’éducation.
Parler, c’est mettre son écoute au service de l’Autre. Parler, c’est chercher à entendre quelque chose de sa différence. Du coup parler/écouter du lieu de l’Autre (pas de Moi, du Moi), « écouter quelqu’un crée l’espace qui lui permet d’être dans l’attente par rapport à ce qui se dit en lui lorsque vous parlez » (ibid., p. 51). Parler/écouter met en mouvement le sujet qui va se savoir parlant. « Je pense donc je suis », c’est pour F. Dolto une parole insensée et morte. « Je ne peux penser qu’avec les mots d’autrui. /…/ On devrait dire : « ça pense et moi l’exprime ». Si je te sais m’entendre, je me sais parlant. Sans toi, je n’ai pas d’existence » (1977-1, p. 165). Parler, c’est alors aussi, comme aider l’autre à donner sens, à s’entendre. « Entendre, ce serait peut-être donner sens ou, mieux, aider l’autre à donner sens /…/ Entendre l’autre, c’est peut-être finalement lui apprendre à parler, à dire, à devenir un être de parole, un « parlêtre » (Lacan), un humain » propose F. Oury (1986, p. 104) à partir de son expérience dans les classe coopératives, classes de Pédagogie Institutionnelle.
Point de départ : c’est en ce sens que la parole est l’origine au point que « L’histoire du sujet devient cette incarnation » comme le commente Marie José d’Orazio (1991, p. 12). C’est de cela dont nous partons dans l’éducation…
En n’oubliant pas que « /…/ jamais, sauf à mourir, nous ne pourrons nous parler ou être parlés ou être entendus vraiment adéquatement » (D. Vasse, 2001, p. 72). C’est de l’impossible de la rencontre dont nous partons en éducation. Je ne suis pas où tu crois que je suis, continue à me chercher. Le Sujet c’est le désir de l’Autre, qu’on ne trouve jamais vraiment, mais c’est cette dynamique jamais achevée qui fait la rencontre dans la séparation. La vie. La parole. C’est cette éthique de la recherche jamais accomplie de l’Autre là où il va qui soutient le point de départ de notre faculté d’éducation.
Bibliographie
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