POINTS DE VUE

Accepter la différence…
Louis Marmoz

La recherche en éducation cherche à se structurer et, dans l’ambiance actuelle, doit sans doute le faire. Même si l’intention est ancienne, l’urgence s’accélère peut-être, comme d’une façon générale pour l’ensemble de la recherche dans les domaines des sciences humaines et sociales : le marché de la recherche s’organise, avec ses apparences de mise en liaison mais aussi ses étiquetages et ses violences dans la concurrence.

Trop souvent, la recherche en éducation manque de spécificité aussi bien épistémologique que méthodologique et continue à fonctionner à partir des problématiques et des outils des autres domaines. Cela est historiquement justifié et peut être utile, mais, appliqué à la lettre, entrave le développement de recherches spécifiques et novatrices en éducation.
Cet emprunt au vocabulaire des autres se fait aussi dans le souci d’être reconnu comme utilisateur patenté des outils des autres, donc, quasiment, d’être des autres. Le « quasiment » est important car, si des chercheurs en éducation se gratifient d’être qualifiés de sociologues, d’historiens ou de psychologues, reste à savoir si ces qualificatifs sont autre chose de la part d’autrui que propos aimables ou faciles et si l’apparentement évoqué permettrait le recrutement dans la discipline invoquée. C’est parfois le cas, ce n’est pas vraiment la règle.
Le souci d’alignement, là à des approches attestées, même si parfois elles piétinent, plutôt que de prendre le risque d’approches nouvelles, non liées à des génuflexions méthodologiques, tue l’imagination créatrice La recherche en éducation a pourtant besoin de ces approches, et même des approches apparemment délirantes sont parfois aussi des approches heuristiques.

Cela revient, à partir d’une bonne maîtrise de l’existant, à accepter l’inconnu et à en rechercher la compréhension et l’utilité. A comprendre que les spécificités que l’on ne maîtrise pas ne sont pas à détruire ou à entreposer dans des ghettos mais à étudier et à interroger. Cela revient à accepter la différence..
Accepter la différence, en matière de recherche, c’est aller jusqu’à accepter une démarche que je ne comprends pas comme pouvant être porteuse de découverte ou de compréhension intéressante, et, quand même, à essayer de la comprendre ! Cela ne signifie pas accepter n’importe quelle élucubration, mais c’est accepter de prendre en compte ce qui nous surprend.
Cette capacité d’acceptation est à préserver mais risque de l’être de moins en moins : au nom de la solidification de la communauté scientifique, on construit des petites cabanes d’où chacun part pour conquérir le monde, ou plutôt sa banlieue, ou plutôt encore vérifier seulement qu’il n’y a pas de mauvais plaisants autour. Quant aux réseaux de recherche, phénomène important et souhaitable, ils fonctionnent trop souvent comme de purs réseaux de renforcement réciproque ; et ça marche !.

Accepter la différence, cela peut être interdit. Différents modes de fonctionnement y participent au travers de l’exacerbation des normes en matière de recherche. Initialement, le simple contrôle de ces très pratiques mots clefs qui sont censés identifier des domaines de travail mais dont les listes pré établies ne font que fermer ces domaines et interdire l’irruption et la spécification de nouveaux. C’est patent aussi avec l’évaluation des chercheurs et des institutions de recherche lorsqu’elle ne consiste qu’à caricaturer une comptabilité – qui, elle, a du sens, on parle de sommes – pour ne prendre en compte des productions de recherche que l’emballage et surtout pas le contenu, ce qui demanderait bien trop d’efforts et de temps… C’est également évident lorsque certains, s’instituant ou institués comme tels dans une collégialité apparente, jouent les censeurs ou les promouvant les autres, ne pouvant que consacrer peu de temps aux dossiers sur lesquels ils doivent rapporter et conclure, sont amenés à les traiter en termes d’affiliation, d’échange de service ou de prudence complice. Cela sans pouvoir reconnaître leur faillibilité.

Accepter la différence, c’est, quand on privilégie soi-même des approches quantitatives, réfléchir aux méthodes qualitatives, ne serait-ce que pour mieux permettre l’interprétation des données traitées et leur analyse ; c’est aussi, quand on privilégie des méthodes qualitatives, ne pas dire le faire seulement par opposition, parce que l’on ignore le quantitatif, mais en s’interrogeant pour savoir si des traitements quantitatifs ne pourraient pas faire apparaître, comme par surprise, des aspects particuliers ou nouveaux.

Accepter la différence, c’est en parler et ne pas la camoufler parce qu’on ne la comprend pas en cherchant ainsi à la faire croire honteuse. C’est aussi accepter qu’une recherche ne conclue pas sur ce qu’elle disait au début – tout simplement – et profiter du fait que notre démarche nous apporte contradiction, donc compréhension nouvelle.

Accepter la différence, quand on anime une association, ce n’est pas en faire un groupe ou des sous groupes de supporters mais bien, une fois que l’on respecte le projet qui l’a fait naître et qu’elle sert, de faciliter les échanges, là encore, imprévus, surprenants, choquants, difficiles peut-être, mais faisant courir le risque de progresser ensemble. Dans cet esprit, il est évident que les textes qui pourraient nous parvenir, en désaccord ou non avec celui-ci, pourront trouver place au même endroit.